La première fois que j'ai suivi une harde de cerfs en suivant leurs traces, c'était au petit matin, la forêt encore enveloppée d'une brume froide qui atténuait les sons. Je me souviens avoir retenu mon souffle, non par peur, mais par respect : chaque empreinte était une invitation à comprendre leur monde. Depuis, apprendre à lire les traces de pas est devenu pour moi à la fois un jeu de patience, une méthode d'observation et une manière de me rapprocher des animaux sans les déranger. Voici ce que j'ai appris au fil des sorties — conseils pratiques, erreurs fréquentes et astuces pour suivre discrètement une harde de cerfs.
Commencer par le sol : identifier l'empreinte
Avant toute chose, il faut savoir reconnaître une empreinte de cerf. Les sabots laissent des marques en forme de cœur ou de goutte renversée, avec deux parties nettes (les palmures). Selon l'espèce et l'âge, la taille varie, ce qui peut aider à distinguer chevreuils, cerfs et biches.
| Espèce | Longueur du sabot (mm) | Largeur (mm) |
|---|---|---|
| Chevreuil | 35–45 | 25–35 |
| Biche (cerf élaphe femelle) | 50–65 | 35–45 |
| Cerf (cerf élaphe mâle) | 65–90 | 45–60 |
Je vous conseille d'emporter un petit carnet et un mètre pliant : noter la taille des empreintes et la distance entre elles aide à confirmer l'espèce et la taille approximative des individus.
Lire la direction et le rythme : comprendre le déplacement de la harde
Regarder la disposition des empreintes permet de déduire la direction, la vitesse et parfois le comportement de la harde. Voici ce que j'observe en priorité :
- Sens de déplacement : les pointes des sabots indiquent l'avant. Dans la boue humide, la base arrière du sabot peut être plus marquée, ce qui aide à confirmer le sens.
- Allure : si les empreintes sont espacées et nettes, les animaux marchent. Des empreintes très espacées et moins profondes suggèrent un trot, tandis que des traces irrégulières et des éclaboussures de boue indiquent un galop.
- Formation de la harde : lorsqu'il y a plusieurs pistes parallèles, c'est souvent le signe d'une harde qui se déplace groupée. Une piste unique marquée au milieu d'autres marques peut signaler un mâle dominant qui suit ou précède le groupe.
Estimer la taille de la harde
Estimer le nombre d'individus à partir des traces n'est jamais précis à 100 %, mais quelques indices me servent :
- Plusieurs pistes parallèles proches les unes des autres = probablement plusieurs individus se déplaçant ensemble.
- Des empreintes superposées ou croisées indiquent du va-et-vient, peut-être une zone d'alimentation ou un point d'eau fréquenté par la harde.
- Des dépôts d'excréments en amas peuvent montrer un lieu de repos où la harde s'est arrêtée — compter les boules de crottes (en évaluant leur taille) aide à estimer le nombre de jeunes et d'adultes.
Reconnaître l'âge des traces
Savoir si les traces sont récentes est crucial si vous voulez suivre discrètement les animaux sans trop les déranger. Voici les signes que j'utilise :
- Frais : bords nets, surface brillante si humide, absence de débris végétaux recouvrant l'empreinte.
- Quelques heures : les bords s'affaissent, les feuilles ou aiguilles peuvent commencer à remplir la marque.
- Plusieurs jours : empreintes émoussées, souvent attaquées par les insectes, recouvertes par des débris et difficiles à distinguer.
Indices complémentaires : frottis, frottements et marquages
Les empreintes seules ne racontent pas toute l'histoire. J'examine toujours les arbres et la végétation alentours :
- Frottis : zone où le pelage a frotté l'écorce (surtout en période de mue ou lors des marquages sexuels). Les frottis bas sont souvent faits par des jeunes cerfs ou des biches, les plus hauts par les mâles adultes.
- Branches pliées et broussailles foulées : indiquent un passage récent et souvent une direction constante.
- Urine et frottement d'odeur : odeur plus perceptible à la rosée du matin, surtout en rut. À respecter : un détecteur d'odeur ne remplace pas le respect du silence et de la distance.
Se déplacer sans alerter : techniques pour suivre discrètement
Le respect de l'animal passe par la discrétion. Voici mes règles d'or :
- Avancer lentement et en zigzag pour éviter d'approcher directement dans la ligne de fuite.
- Utiliser le vent à votre avantage : toujours approcher côté sous le vent pour que votre odeur n'atteigne pas la harde.
- Limiter l'utilisation de lumière artificielle : en brume, la lumière attire l'attention et peut désorienter les animaux.
- Ne pas s'approcher des sites de repos ni des jeunes : c'est une règle de sécurité et d'éthique.
Équipement utile
Je n'emporte pas d'arsenal, mais quelques éléments me rendent la tâche plus facile et sûre :
- Chaussures silencieuses, type chaussures de trail On ou Salomon (mais choisissez celles qui vous conviennent), pour réduire le bruit sur feuilles et branches.
- Binoculaires légers (Swarovski CL ou Nikon Monarch) pour observer à distance.
- Un bâton de marche adaptable pour sonder le sol et réduire les risques de bruits surprenants.
- Un carnet et un stylo pour noter tailles d'empreintes, direction et heure.
Saisonnalité et comportements à connaître
La saison influence fortement le comportement des cerfs. En rut (automne), les mâles se déplacent davantage et la harde est souvent plus dispersée ou en mouvement pour suivre les femelles. En hiver, les déplacements sont plus restreints, les traces se concentrent vers les zones d'alimentation. Au printemps, vous verrez des jeunes empreintes plus petites et des sites de repos plus visibles.
Éthique : observer sans nuire
Ma priorité, toujours, est de minimiser l'impact. Suivre une harde peut être fascinant, mais il faut savoir s'arrêter :
- Si les animaux changent de direction soudainement et s'éloignent, reculez et rendez-leur leur tranquillité.
- Évitez toute interaction qui pourrait entraîner stress ou séparation des jeunes.
- Partagez vos observations avec des structures locales (associations naturalistes, forestiers) pour contribuer à la connaissance et à la protection des populations.
Finalement, lire les traces, c'est apprendre une langue muette. Chaque empreinte, chaque frottis, chaque crottin est une lettre que je déchiffre pour raconter une histoire — celle d'une harde qui vit, se protège, se nourrit et se reproduit. Avec de l'attention, du respect et un peu de patience, la forêt finit par vous parler, même quand elle est en brume.